Hotel Mario

Hotel Mario. Un nom qui sonnera comme vaguement familier à la plupart des fans du plombier. Un jeu Mario bizarre et obscur sorti sur une console qui l’est tout autant. Mais les choses sont bien plus complexes que ça, et Hotel Mario a beaucoup de surprises en stock. Pas forcément des bonnes, mais des surprises quand même.

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La Super Nintendo

Revenons d’abord en arrière pour comprendre la genèse du projet. Tout commence avec la Super Nintendo. Pour mettre au point la console, Nintendo a travaillé avec différents partenaires. Sony est un de ceux-là, et s’est occupé du chipset sonore de la console. Continuant sur cette lancée, les deux sociétés signent un autre contrat, permettant à Sony de développer un add-on pour la Super Nintendo afin d’y lire des jeux sur CD.

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Un projet qui n'aboutira jamais...

À l’époque, la technologie en est encore à ses balbutiements dans le domaine du jeu vidéo, mais elle est pleine de promesse. Nintendo est convaincu du potentiel de ce nouveau média et met tout en œuvre pour que le projet aboutisse. Cependant, Hiroshi Yamauchi, le président de Nintendo de l’époque, se rend vite compte d’un problème : les avocats de Sony se sont arrangés pour que les bénéfices engendrés par cet add-on et ses futurs jeux aillent en priorité à Sony, et non à Nintendo. Connu pour ne pas faire les choses à moitié, Yamauchi rompt alors le contrat sans autre cérémonie et se met à la recherche d’un nouveau partenaire moins gourmand.

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Une des versions du CD-i

C’est chez Phillips que Nintendo trouvera son salut. En 1991, les deux sociétés passent un accord : c’est Phillips qui s’occupera désormais de développer l’add-on pour la Super Nintendo. En échange, Phillips aura le droit de commercialiser des jeux utilisant les licences Nintendo sur sa propre console, la Phillips CD-i. Sortie en octobre 1991 pour près de 1000$, la CD-i avait pour but de s’imposer dans les foyers comme la plate-forme multimédia indispensable, permettant de regarder des films, écouter de la musique, jouer, apprendre…

La suite, vous la connaissez : le SNES-CD n’a finalement jamais vu le jour. Face à l’échec du Mega-CD, permettant à la Megadrive de Sega de lire des jeux sur CD, Nintendo fait machine arrière et décide d’abandonner l’idée. Pour autant, Phillips garde la possibilité d’utiliser les licences Nintendo pour la CD-i, et c’est ce qu’ils feront à travers quatre jeux effectivement sortis : trois jeux Zelda, et un jeu Mario.

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L'objet du délit

C’est ainsi qu’est né Hotel Mario. Dans une confusion totale, remplie de projets abandonnés, rescapé d’un contrat lui donnant à peine le droit d’exister. Le jeu sera développé par Phillips, Nintendo n’ayant qu’un droit de regard très superficiel. Le résultat est sans appel : Hotel Mario est le vilain petit canard de la série, ignoré voire carrément oublié, même par Nintendo. Penchons-nous quand même dessus, afin de comprendre comment et pourquoi il a acquis une telle réputation.

L'intro du jeu, en anglais

Cependant, avant de nous intéresser au jeu lui-même, nous devons parler de ce qui l’a pourtant rendu si populaire : ses scènes cinématiques. Vous les avez déjà probablement déjà vues au détour d’une vidéo YouTube. De part leur absurdité et leur piètre qualité, elles sont devenues, avec celles des jeux Zelda, un sujet de moquerie populaire pendant un temps.

Les jeux Mario ne sont en effet pas connus pour leur histoire, et c’était encore plus vrai à l’époque. Les scènes cinématiques étaient alors peu utilisées et pas vraiment utiles pour accompagner le scénario somme toute très classique qu’on retrouve dans presque chaque épisode. Tout juste avait-t-on droit à un texte d’introduction.

Hotel Mario change cependant la donne en nous balançant en pleine face une introduction animée, dans laquelle les deux plombiers parlent et discutent entre eux. Les dessins et l’animation sont de piètre qualité, avec des personnages franchement différents de leur modèle, des décors vides et des mouvements saccadés. Les dialogues sont souvent sans queue ni tête, et Mario et Luigi s’adressent fréquemment au joueur, brisant ainsi toute possibilité d’immersion.

L'intro en français, si vous en avez le courage

Pour l’anecdote, les jeux Zelda ne feront pas mieux dans ce domaine, héritant, pour deux d’entre eux, de cinématiques de qualité équivalente, avec une animation réussissant l’exploit d’être encore pire que celle de Hotel Mario. Le troisième jeu Zelda aura pour sa part droit à des vidéos en prise de vue réelle, avec des acteurs. Si vous vous demandez quel aurait été le résultat si le même principe avait été appliqué à Hotel Mario, il suffit de regarder du côté de « Super Mario Bros : Le Film » pour avoir une idée.

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Promis, c'est la dernière image de l'intro

Pour ce qui est de l’histoire, elle est de plus classiques : Bowser a kidnappé la princesse, c’est à Mario (et Luigi, accessoirement) de la sauver. Pour une raison mystérieuse, Bowser a décidé d’enfermer la princesse dans des « hôtels » que les plombiers vont devoir traverser afin de retrouver Peach. Les cinématiques font ce qu’elles peuvent pour donner un semblant de cohérence entre les sept mondes du jeu, mais la tâche est plutôt compliquée : les différents hôtels n’ont aucun lien entre eux, et la princesse se fait recapturer à chaque fois que vous finissez un monde.

Au final, l’histoire est à l’image des cinématiques, ou vice versa : incompréhensibles et effarantes. À l’époque, l’univers de Mario n’était pas franchement développé, il était donc difficile de créer une histoire cohérente, surtout pour une équipe détachée de Nintendo. Mais il fallait bien justifier l’utilisation du support CD, et c’est ce que ces cinématiques auront tenté de faire.

Mais bref, parlons donc du gameplay. Car, en effet, Hotel Mario reste un jeu, avec un but, même si la plupart des gens se sont arrêtés à ses cinématiques.

Au départ, on est pas trop dépaysé, la présentation étant assez classique. Le jeu se déroule en vue de profil, avec des sprites pas vilains (beaucoup moins que les cinématiques en tout cas). On se déplace à gauche et à droite, on peut sauter, tout va bien. On retrouve les ennemis classiques tels les Goombas, Koopas et Boos, et il y a même les power-ups habituels : champignons, fleurs de feu et étoiles.

Cependant, la comparaison avec les jeux Mario plus classiques s’arrête là. D’abord, tout se déroule sur un seul écran, sans aucun scrolling. Ensuite, la progression verticale se fait uniquement en passant par des ascenseurs. Si ceux-ci fonctionnent de manière assez conventionnelle au début, ils auront vite fait de vous envoyer n’importe où sauf là où vous vous y attendez. Il n’est pas possible de sauter d’un étage à l’autre, que ce soit vers le haut ou vers le bas.

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Je peux échanger un mot avec l'architecte ?

Plus important, le but du jeu n’est pas de finir le niveau, puisqu’il n’y a pas de scrolling. Le principe est en fait extrêmement simple : fermez toutes les portes du niveau pour gagner et avancer au niveau suivant. Pourquoi ? Parce que. Le jeu n’offre aucune explication pour justifier cette mécanique, c’est juste ce que vous devez faire. Pour fermer une porte, il suffit de passer devant elle. Vous devez donc parcourir chaque étage en passant devant toutes les portes afin de les fermer.

Tout ça serait facile si les ennemis, en plus de faire office d’obstacles, ne s’amusaient pas également à rouvrir les portes que vous avez fermées. Vous allez donc devoir faire d’incessants allez-retours afin de refermer toute porte qu’un ennemi aura eu la bonne idée de rouvrir. Et n’espérez pas simplement vous débarrasser de tout le monde afin d’être tranquille : les ennemis respawnent constamment, vous obligeant à rester sur vos gardes. Il n’est pas rare de penser qu’on a fini le niveau pour qu’au final, un Koopa débarque et ouvre la porte située à l’opposé du niveau, vous obligeant à reprendre plusieurs ascenseurs pour aller refermer la porte. En espérant qu’un autre ennemi n’aura pas, entre temps, ouvert une autre porte.

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Faisons des économies : enlevons les murs

Et c’est tout. Hotel Mario souffre, non pas d’avoir un gameplay simple, mais d’avoir un gameplay pauvre. Parcourir tous les étages de haut en bas et de gauche à droite sans arrêt pour fermer les portes, c’est bon pour un mini-jeu, pas pour un jeu entier. Chaque hôtel se finit sur un boss, qui exige de jouer de manière un peu plus technique, mais en dehors de ça, il n’y a pas la moindre variation. Difficile, dès lors, de lui trouver un quelconque intérêt sur le long terme.

Hotel Mario est et restera donc un simple accident de parcours dans la carrière quasiment sans tâche du plombier. N’ayant pas été développé par Nintendo, sorti sur une console que peu de gens achèteront, complètement inintéressant, il était condamné à sombrer dans l’oubli. L’avènement d’Internet lui a permis de trouver un petit regain de popularité, mais soyons honnête : c’est quasiment uniquement pour s’en moquer.

Pour un joueur actuel, il y a peu d’intérêt à essayer de retrouver et de jouer à Hotel Mario. Cela reste une pièce importante dans l’histoire de Mario, mais à moins d’être collectionneur ou historien vidéoludique, il n’a pas vraiment sa place sur votre étagère. Tout comme la console qui l’a porté, il restera une simple curiosité, qu’on découvre, incrédule, au détour d’une page web.

Un petit peu de gameplay

Pourtant, l’histoire ne s’arrête pas là. Apparemment conscient qu’Hotel Mario ne répond pas vraiment au cahier des charges d’un jeu Mario habituel, Phillips commence le développement d’un jeu plus classique, un vrai jeu de plate-forme avec scrolling horizontal, Super Mario's Wacky Worlds. Mais ça, c’est une autre histoire…

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